mardi 13 mars 2012

Comment les technologies numériques prolongent les missions traditionnelles des musées

Réponse aux questions de Noémie Roussel,  pour son mémoire de master  2 Design d’interface multimédia et Internet, université Paris 13, août 2011 ("La relation entre le musée et son public à l’ère du numérique : ruptures et continuités")

Comment les technologies numériques prolongent les missions traditionnelles des musées? 
Ma propre expérience de mise en relation de mes expositions réelles et de leurs doubles virtuels, sur lesquels interviennent des internautes-visiteurs, m'a montré les avantages qu'on peut tirer de la 3D interactive sur internet. 
La rencontre de l'artiste et du visiteur ou du spécialiste d'un domaine particulier, ne sont plus des pistes mais des réalités que seules les difficultés techniques freinent encore. La principale difficulté n'étant pas logicielle ou informatique mais dans la fiabilité des réseaux internet disponibles, sachant que pour le web 3D, la moindre coupure est fatale.
La mission pédagogique du musée a déjà largement utilisé la 3D pour la reconstitution de monuments en partie détruits ou pour des visites virtuelles agrémentées d'informations.
La réalité augmentée ajoute l'aspect ludique à ces modélisations et étendra le champ du musée au delà de sa propre surface physique. La réalité augmentée permet d'ajouter de l'espace muséal où l'on veut et de faire pour qui le souhaite, de la ville ou du paysage, un musée.
Le web 3D permet, lui, de faire des espaces modélisés des lieux d'échange. La rencontre devient possible entre des visiteurs du musée et des intervenants extérieurs connectés sur le métavers, ce qui permet d'étendre le champ du musée aux réseaux sociaux. 
Si on relie la réalité augmentée et le web 3D, on peut imaginer, à moyen terme, un guide ou un conservateur qui ferait la visite guidée sans bouger de son bureau, ou un artiste qui répondrait à distance aux questions des visiteurs, comme je l'ai fait lors de mon exposition "La civilisation Moya" (au centre d'art La Malmaison à Cannes, durant l'été 2011), dans la réplique virtuelle à l'identique du lieu, depuis mon atelier.
La visite de réserves muséales en 3D sera également l'une des pistes du futur proche : la mise en ligne des oeuvres en stock sur les métavers permettra de construire des expositions à distance, en modélisant les espaces et en y posant les oeuvres virtuelles puisées sur le net. 
Cette possibilité nouvelle donnera lieu à des expositions uniquement virtuelles et visitables seulement sur le net. De même que tout un chacun pourra construire sa propre exposition à partir des réserves de divers musées.
J'ai expérimenté ces possibilités lors de ma participation à l'exposition "Rinascimento Virtuale" (L'art dans Second Life) organisée par le critique italien Mario Gerosa au musée d'anthropologie de la ville de Florence. Avec l'architecte de l'exposition (Fabio Fornasari), j'ai construit ma future installation dans mon atelier de Second Life. Nous avons ainsi visualisé les transformations nécessaires sans jamais nous rencontrer autrement que par avatars interposés.
J'ai également pu faire l'expérience de l'utilité d'avoir mis en place une réserve virtuelle de toutes mes oeuvres disponibles en réel : il m'était plus facile de retrouver mes oeuvres dans le monde virtuel que dans le réel, et de pouvoir ainsi les montrer de façon plus rapide et efficace à un galeriste ou à un curateur.
Dans le futur, lorsqu'un conservateur préparera une exposition, il "descendra" dans la réserve virtuelle depuis son ordinateur, en compagnie d'un expert ou d'un critique présent chez lui : ensemble, ils choisiront les oeuvres et pourront même les installer dans la réplique du musée.
On retrouve ici la mission de conservation du musée. Les réserves virtuelles ne sont rien de plus qu'une amélioration des archives web en y ajoutant la 3D, mais, comme toute transformation, elles changeront notre perception du réel lui-même. 
L'importance grandissante des métavers verra naitre la nécessité de conserver les objets et les architectures de ces nouveaux mondes. Déjà Mario Gerosa (spécialiste des mondes virtuels et par ailleurs rédacteur en chef de AD magazine Italie) avait tenté de créer un conservatoire des architectures des jeux vidéo et des univers virtuels ou MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Games").
Le "gold farming" (ou revente de biens virtuels issus des jeux vidéos) prouve que les objets ou oeuvres virtuelles deviennent tangibles. 
La nécessité de créer des départements de conservation des architectures et objets virtuels, entrainera en retour des liens entre ces "objets" et les espaces miroirs des musées ou les clones des oeuvres réelles, créant ainsi de nouveaux usages et de nouvelles façons de visiter les musées.
Les technologies numériques prolongeront les missions traditionnelles des musées en créant de nouvelles extensions pratiques et ludiques.
Mais, en transformant les relations du spectateur avec le musée, elles transformeront le musée lui-même à leur image.


Patrick Moya


Ce texte est l'un des bonus du livre " l'art dans le nuage "




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