vendredi 30 juillet 2010

Le texte de préface pour le livre de Hervé Cael "Nice Art - Nice un musée d'art contemporain à ciel ouvert"

Le texte de préface pour le livre de Hervé Cael "Nice Art - Nice un musée d'art contemporain à ciel ouvert" aux éditions Baie des Anges.
 
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"L'art à la rue.
Qu'est ce qui peut bien faire la différence entre une oeuvre d'art et un beau mobilier urbain ?
L'oeuvre dans la ville est cet objet étrange qui possède une part de sacralité, ce qui n'est pas loin du “culte du cargo” tant on lui confère des vertus quasi magiques, non plus pour guérir ou apporter des biens matériels mais plutôt pour apporter de l'intelligence, du progrès et de l'éducation.
Elle est aussi un objet produit par un homme seul qu'on nomme l'artiste et dont la fonction n'est pas la même d'un pays à l'autre ou d'une époque à l'autre.
A Nice, jusqu'à il y a quelques dizaines d'années, l'artiste était une sorte de santon de la crèche, entre le politique et le commerçant. Personnage alchimiste transformant le rien en or et respecté surtout pour cela, en premier lieu, par les patrons de restaurant. Ce temps du clientélisme où l'artiste en bon client était le roi est quelque peu révolu : les nouvelles règles d'appel d'offres ont donné aux experts la responsabilité de choisir l'art de la ville, afin d'atteindre ce que l'on nomme l'excellence.
Pourtant, malgré une excessive fonctionnarisation de l'art contemporain, l'oeuvre reste le produit d'une relation chamanique où l'artiste joue le rôle de vecteur plutôt que de médiateur culturel. Elle n'incarne plus la divinité, pas plus que le politique qui doit se contenter de la caricature faute d'être statufié ; c est l'artiste qui recupère la fonction de représenter l'humain. Bien que l'oeuvre soit de plus en plus abstraite, elle contient cependant une figure indissociable qui est celle de l'artiste, dont la signature en est la caution – d'ailleurs, on n'imagine pas une oeuvre d'art contemporain anonyme – quand on n'en connait pas le nom, on la fait enlever par les encombrants et on efface le tag ou le graph alors que paradoxalement, bien qu'anonymes, ils sont pourtant une signature.
Il y a d'ailleurs dans le tag une tentative désespérée de l'humain d'affirmer une présence dans la ville.
L'oeuvre officielle, elle, fait le lien entre un homme qui a le «don» et la cité, elle est la ficelle – à la fois ficelle du métier et ficelle de la marionnette qui joue le rôle d'artiste.
D'ailleurs, face aux architectes, aux designers ou aux metteurs en lumière des grandes villes, l'artiste n'est-il pas, plus que jamais, un guignol de l'esthétique – une marionnette qui manipule elle-même ses ficelles du métier, un chaman qu'on invite pour "bénir" un nouveau bâtiment, une nouvelle place dans une ville devenue laïque et dont l'oeuvre sert de totem sacré, à tel point qu'il est plus facile pour le politique de détruire un immeuble que de simplement déplacer une sculpture. L'artiste s'invite ainsi aux cérémonies officielles d'inauguration en remplacement du prêtre, ce qui est loin de lui déplaire.
Tous comptes faits, il est plus valorisant pour lui d'avoir une oeuvre à la pluie et aux regards de tous que bien au chaud dans le musée.
Devenir un nom commun plutôt qu'un nom propre, avoir une oeuvre commune plutot que bien propre est un rêve d'artiste, un aboutissement.
Le musée d'art moderne est finalement pour l'artiste l'antichambre et le bureau d'enregistrement à destination de la place publique, quand la place publique est l'antichambre du musée pour les grands architectes ou les grands designers – voilà le paradoxe d'un chassé-croisé qui risque de finir au détriment de l'art contemporain si, à force de vouloir des musées à ciel ouvert, on laisse l'artiste à la rue, pour accueillir ceux qui finalement méritent autant que lui d'être au musée.
Mais peu importe et peut-être même tant mieux, car cela redonnerait un peu d'air frais à l'art.
Et où peut-on tenter le mieux de mettre son nez dehors que dans le Sud ?
La Méditerranée n'est-elle pas le lieu idéal pour ouvrir le musée au ciel ?

Patrick Moya"

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